Émile. – Vous êtes des sociologues, qu’est-ce que vous faites ? Monique Pinçon-Charlot. – Tous les deux, nous étudions le social, la société, les relations entre les gens. C’est difficile parce que la société est dans ta tête et même dans ton corps. Celui-ci a intégré ta position de jeune écolier de la Nièvre, alors que si tu étais un enfant des beaux quartiers, ta façon d’être et de parler serait différente et révélerait une autre position dans la société. Ce qu’il y a de difficile avec la sociologie, c’est qu’elle concerne l’individu, parce qu’on intériorise la position qu’on occupe dans la société, mais aussi l’étude des classes sociales et, bien entendu, des inégalités qui caractérisent la société française d’aujourd’hui. Émile. – Vous vous êtes spécialisés sur les questions de richesses. C’est quoi, être riche ? Michel Pinçon. – Être riche, c’est ne pas avoir beaucoup de besoins, parce qu’on a plein d’argent pour les satisfaire tous. Mais être riche ne se limite pas à l’argent : lorsque les enfants naissent dans une famille riche, ils intègrent des connaissances, ils vont longtemps à l’école, dans des grandes écoles où sont formées les « élites de la nation ». Les riches sont aussi des amateurs d’art et des clients des salles des ventes aux enchères pour acquérir des objets précieux et des tableaux. Leurs appartements, leurs résidences secondaires, leurs châteaux sont de véritables musées où ils accumulent des oeuvres d’art. Donc, à l’argent s’allie la culture. Les gens riches, de plus, connaissent beaucoup de monde, leurs carnets d’adresses sont bien remplis. Nous nous sommes rendu compte que c’étaient des contacts au sommet dans tous les domaines de la société. Aussi bien dans les affaires, la finance, l’industrie, les entreprises que dans l’armée. Un homme qui, par tradition familiale, a fait une école militaire, est devenu général et possède beaucoup de terres fait partie de la grande famille des riches. D’autres sont dans la littérature, puisqu’ils peuvent vivre sans avoir de travail ni de salaire. Ils ont un capital, un patrimoine qui leur permet de vivre. Tous ces réseaux sont une grande richesse car la connaissance de centaines de personnages importants dans tous les domaines de la société permet de décupler son pouvoir en disposant aussi de celui des autres.