Allez-y, dites Bismillah et suivez-moi pas à pas. Mais d’abord, mettons-nous juste d’accord sur le fait que parler du mariage, des prétendants ou du recul de l’âge du mariage est très délicat en Égypte. Vous aurez beaucoup de mal à trouver quelqu’un qui s’exprime librement sur la question. Et surtout parmi les filles qui ne sont pas mariées. Parce que, pour les gens, une fille qui en parle est soit mal éduquée et vulgaire, soit pressée de se marier. Ou alors, trop âgée pour trouver quelqu’un qui veuille l’épouser. Cela explique que beaucoup de filles tiennent des propos du genre : « Le mariage, ça ne sert à rien ! Qu’est-ce qu’elles y ont gagné, celles qui se sont mariées ? » « Je suis dorlotée chez mes parents, alors pourquoi j’irais me compliquer l’existence avec quelqu’un que je ne connais pas ? » « Pour l’instant je ne pense pas au mariage, je songe d’abord à me construire un avenir. » Et puis, la phrase mille fois entendue dans les films arabes : « Quand je me serai accomplie… » Personnellement, je n’ai aucune idée de ce que veut dire « s’accomplir », ni comment je pourrais faire un truc pareil. Certes, il y a certainement beaucoup de filles qui ont des ambitions dans leurs études ou dans leur travail, mais je vous mets au défi d’en trouver une seule dont l’ambition première ne soit pas de se marier ! Avant tout, parce que c’est le seul moyen de devenir mère. Mettons-nous maintenant d’accord sur un second point très important. Le nombre de femmes en Égypte est supérieur au nombre d’hommes. C’est une donnée fondamentale, que je refuse de discuter. Laissez tomber les statistiques du gouvernement qui affirment que les deux populations sont égales : elles sont du même tonneau que les températures annoncées à la météo. Quand tout le monde est prêt à mettre sa main au feu qu’il fait plus de 45 °C, on nous dit que la température ne dépasse pas les 38 °C. Un ami de mon père m’a dit qu’il était interdit d’annoncer une température supérieure à 42 °C pour ne pas nuire à l’économie : cela risquerait de faire fuir les touristes. Eh bien, il y a une combine de ce genre derrière les chiffres annoncés de la répartition des sexes. Et pourquoi y a-t-il plus de filles que de garçons ? C’est simple : parce que les femmes font des enfants tant qu’elles n’ont pas eu un garçon ! Beaucoup de familles se composent de quatre filles et un garçon, cinq filles et un garçon, six filles et un garçon, etc. Une épouse se retrouve à enfanter encore et encore parce qu’il faut absolument que son mari ait un garçon. Et qu’est-ce qu’ils font avec leur fils ? Allez savoir… Mais, au final, il deviendra un bon à rien. Les parents sont là, à le chouchouter jusqu’à ce qu’il soit pourri gâté et ait dilapidé toutes leurs économies, et même plus… Mais passons, c’est une autre histoire. Les gens qui étudient ou ont étudié dans une des universités d’Égypte ont bien remarqué que le nombre de filles y est supérieur au nombre de garçons. Dans ma fac, il y avait deux tiers de filles pour un tiers de garçon, autrement dit le double. Autre chose encore : les hommes sont devenus arrogants et se comportent comme si aucune femme n’était à leur hauteur (Faites mon Dieu qu’ils perdent la vue et la santé !). Il n’y a qu’à voir comment le type, toujours accompagné de sa mère, se comporte : il se permet de poser un tas de conditions : « Il faut qu’elle soit claire de peau, qu’elle ait les cheveux couleur café, les yeux couleur de miel et qu’elle ressemble à Nelly Karim. » Qu’ils aillent se faire voir ! Non, mais regarde-toi d’abord dans le miroir, mon gars ! Allez,laisse tomber le miroir ; on dit qu’un homme qui a les poches vides a tous les défauts : alors vas-y, montre-nous ce que tu vaux. Et le jour où tu viendras faire ta demande, apporte au moins une boîte de dragées. Mais non ; l’autre, là, il va avec sa mère chez ces gens qui se sont saignés aux quatre veines pour donner une bonne éducation à leur fille, et alors que les parents de la malheureuse jeune fille ont encore dépensé sans compter pour cette rencontre, il s’y pointe les mains vides ! Et même si la fille n’a pas le moindre défaut, il ose dire : « Non, elle ne ressemble pas vraiment à Nelly Karim ; elle est plutôt comme Nagla Fathi, et ce n’est pas du tout mon genre de fille. » Je vous jure qu’on aurait dit que c’était Husayn Fahmi qui cherchait à se fiancer. Et puis les noces, quelle blague ! Il y a très longtemps, comme dans les vieux films égyptiens, quand une fille bien habillée se rendait à un mariage, il y avait toujours une bande de garçons pour lui tourner autour, comme s’ils allaient la croquer. Et il était inimaginable qu’elle ressorte de là sans un fiancé. Aujourd’hui, on assiste aux mêmes attroupements, mais les rôles sont inversés ; les mères sont assises avec leurs filles à l’affût des garçons, et malheur à celui qui passe par là :« Tareq ! Comment vas-tu mon garçon ? Eh bien, tu ne viens pas saluer tes cousines ? Regarde comme elles sont devenues de belles jeunes filles ! – Je ne suis pas Tareq. Et par ailleurs, j’ai comme l’impression, Madame, que vous n’êtes pas ma tante. – Oh, c’est vrai ? Je suis désolée, mon petit, c’est à cause de mes yeux. Mais pourquoi ne viendrais-tu pas te présenter ? Peut-être que la chance va te sourire et que tu trouveras une épouse chez nous. » Et là, soit le garçon prend ses jambes à son cou, soit un ami qui a flairé le traquenard vient le tirer d’affaire en disant que quelqu’un le cherche urgemment – ou un truc du genre. Tout cela sans parler du manège des filles tournant autour de la mariée pour se faire admirer des hommes aux quatre coins de la salle. Quand la musique s’arrête, on les voit se pousser les unes les autres et réajuster la robe ou le voile de la mariée pour apparaître sur le film du mariage et sur le plus de photos possible ; pourvu qu’un homme les remarque et décide de les sauver du monde des célibataires… Mais tout cela n’est pas censé faire rire, vous savez. Ces filles sont vraiment à plaindre. Tout ce qu’on attendait d’elles dans le temps était qu’elles se respectent et vivent chez leur père en attendant LE mariage, qui était le plus souvent arrangé par les familles. Aujourd’hui, la balle est dans leur camp. Il faut qu’elles sortent, travaillent, aillent à des mariages, rendent visite à leurs amis… – et la responsabilité de trouver un mari ne repose plus que sur leurs épaules. Je connais plein de familles dans lesquelles on pique des crises pour forcer les filles à sortir et à trouver un travail parce que sinon, disent-elles, elles ne se marieront jamais. Mais d’un autre côté, la société est très dure avec les filles qui flirtent avec des garçons dans l’espoir de se marier, surtout en dehors du Caire et d’Alexandrie. Sans compter qu’en général un homme ne veut pas épouser celle qu’il a fréquentée avant le mariage ; il veut une femme pure et innocente, qui n’est jamais sortie et n’a jamais adressé la parole à un autre que lui. Non, mais sérieusement, qu’est-ce qu’elles sont censées faire ? À tout cela, il faut ajouter que le compte à rebours est lancé dès qu’elles quittent l’université. Si elles n’ont pas trouvé de fiancé au bout de deux ou trois ans, on considère qu’elles sont trop vieilles. Moi personnellement, dès mes 23 ans j’ai commencé à me sentir vieille fille. Il faut faire quoi, dans ce cas ? La société pourrie dans laquelle on vit – celle qui évalue une fille en fonction du mariage, qui estime qu’une fille qui se marie tôt est géniale et qu’une fille qui tarde à le faire a sûrement quelque chose qui cloche, et qui d’un autre côté laisse à l’homme le droit de faire sa sélection, de poser des conditions, d’allervoir à droite et à gauche (on dira qu’il sait y faire, qu’il a de l’expérience) et qui, même s’il a la quarantaine bien sonnée, a le droit d’épouser dès qu’il le veut une gamine d’à peine dix-huit ans… – eh bien, cette société-là est tout simplement cruelle et injuste ! C’est à cause de tout cela que moi, « Bride » (ce qui veut dire future mariée, mais en anglais pour faire class), j’ai décidé d’écrire cette histoire et d’expliquer la situation sous toutes ses faces à tous ceux qui ne comprennent pas ou qui ne savent pas que les filles en Égypte sont vraiment à plaindre, qu’elles subissent chaque jour plus de pression et qu’on les juge sur un élément qui n’est absolument pas de leur ressort. Allez, restez avec moi, que je vous parle des énergumènes qui se sont présentés chez mes parents : vous verrez tout ce qu’on doit encaisser…