« Nourrir un tigre en son sein, c’est se préparer des malheurs » ou Crime d’honneur En mars 2002, à Qingxiang, bourgade du Shandong alternant fermes, échoppes et ateliers de tracteurs, c’était la fête : Zhaoyuan, gloire du village, était de retour. Zhaoyuan était si douée qu’après ses études à Nankai (à Tianjin, une des meilleures universités du pays), elle avait poursuivi par un doctorat aux États-Unis, boursière sur un prestigieux campus. Avec son mari, camarade de fac qui l’avait suivie en Amérique, ils gagnaient 96000 dollars par an. Ils avaient surtout la merveilleuse green card, promesse de citoyenneté yankee : c’était le paradis atteint, à vingt-cinq ans ! C’est justement de là que naquit le drame. En Chine, une loi tacite taxe de trahison l’abandon du pays. Si d’aventure l’on revient, fortune faite, éclate la hóng yˇan b`ıng, «maladie des yeux rouges » – la jalousie du clan. Pour l’apaiser, il faut payer. À Tianjin, où ils s’étaient rendus d’abord, le beau-père les avait déjà impudemment taxés de 10000 dollars – leur pécule de vacances.Ce dont ils ne se doutaient pas est qu’à Qingxiang, quand le père de Zhaoyuan apprendrait la chose, sa première et seule réaction serait d’en réclamer autant. Ils refusèrent net. Il prétendit alors transiger à 3000 dollars ; ils s’enferrèrent dans un veto adamantin. Une orageuse dispute s’ensuivit : le père se retira bouillant de rage, proférant de vagues menaces contre les enfants refusant d’honorer leurs parents… Avec son sens borné, le père parlait sérieusement. Au nom du dicton, yˇang hˇu yí hu`an, « nourrir un tigre en son sein, c’est se préparer des malheurs ! », il attendit l’aube pour exécuter à la hache sa fille et son beau-fils endormis. Le vrai malheur l’attendait dès lors, avec son exécution inévitable : le traitement cruel infligé à ces jeunes n’est pas du genre que Pékin entend favoriser. La Chine tente d’encourager les retours des cerveaux formés à l’étranger. Pas leur assassinat par les parents jaloux. Ce qui frappe, en fin de compte, c’est l’explosion de haine et la faillite de tous les arbitrages courants. La mort des jeunes fit sauter dans la Chine entière l’image de la famille, faite de cohésion, de sagesse et de capacité à déminer les conflits les plus vicieux. Quand détonna la crise, ces malheureux ne trouvèrent d’aide ni dans leurs études ni dans la tradition. Fétus de paille, ils se retrouvèrent déchiquetés entre un confucianisme déformé par cinquante ans de stalinisme (réduit au simple droit de propriété des pères sur les enfants), l’american way of life qui glorifiait la suprématie absolue de l’individu et de l’argent et le socialisme autoritaire. Tous les systèmes de résolution des litiges avaient failli, sauf la peine de mort réservée aux assassins, qui fut probablement appliquée. Si tel est le cas, elle ne rendit au village ni sa fierté ni ses héros !