La Chine n’est pas une « économie de marché », pas plus qu’elle n’est une « démocratie » et rien n’indique qu’elle s’en rapproche. Les quelques traits de démocratie formelle et d’économie de marché adoptés à la marge renforcent le pouvoir en place. Hommage du vice à la vertu, la Chine a cependant tous les attributs d’une démocratie pluraliste et d’une économie de marché. Une dizaine de partis sont autorisés dont le nombre d’adhérents ferait pâlir d’envie les partis occidentaux ; la Constitution de 1982 garantit la liberté d’expression, la liberté de réunion, la liberté religieuse ; une loi de 1985 prescrit que les cadres du Parti et de l’État sont élus ; une directive du Parti prescrit même que le nombre de candidats à un poste électif doit être supérieur au nombre de postes à pourvoir (sic), etc., mais cela ne suffit pas à faire une démocratie. De même, la Chine a adopté des instruments de marché : privatisation des banques et des entreprises, libération des prix, dérégulation des marchés, etc., mais cela ne suffit pas à faire une économie de marché. « L’État intervient dans le marché et les entreprises sont dirigées par le marché. » Le marché est bien un instrument au service de l’État. Ce que résume l’apologue de Chen Yun : « Le marché est au Plan ce que l’oiseau est à la cage. » Le recours au marché comme le recours occasionnel aux élections ne sont pas destinés à créer une démocratie pluraliste ou une économie de marché, mais à améliorer les performances de l’économie socialiste à renforcer la domination du Parti. Pragmatiques, libérés désormais de tout a priori dogmatique, les dirigeants du Parti retiennent des autres pays tout ce qui peut améliorer les performances de l’économie. Il n’y a qu’une limite à la réforme : le Parti. Le Parti s’entend à manipuler les mots fétiches : « démocratie », « économie de marché », socialisme « aux caractéristiques chinoises », « la loi et l’ordre », qui ont peu à peu intégré les mentalités collectives. Quand on parle de « démocratie », la plupart des Chinois répondent : lutte contre la corruption, réduction des inégalités, limitation du pouvoir des petits chefs. Ils ne demandent pas à participer au pouvoir mais à être entendus. À moins d’être prix Nobel, les dissidents, marginalisés et isolés, ont peu de chances d’être connus du grand public. Ils n’en ont que plus de mérite. Quand on parle de « démocratie » à un membre du Parti, il répond « décentralisation », comme s’il suffisait de transférer certaines compétences aux instances locales pour promouvoir la démocratie. Pour le Chinois de la rue, loin d’être synonyme de démocratisation, la « décentralisation » est source d’abus car elle renforce le pouvoir des « petits chefs », des représentants locaux du Parti. Ils considèrent le « Centre » – hier l’empereur, aujourd’hui le Parti – comme le recours contre les injustices et la corruption des administrateurs locaux. Sous l’empire, des fonctionnaires itinérants inspectaient tous les trois ans les comptes et l’administration des mandarins en poste en province. Les hiérarchies du Parti et de l’État se superposent et souvent se confondent : des cadres du Parti occupent des fonctions administratives ou des postes de direction ; des chefs d’entreprise s’inscrivent au Parti.