Un des grands problèmes que les paysanneries des pays en développement ont rencontré depuis longtemps est simplement le fait qu’elles sont très souvent socialement méprisées. Au-delà des politiques qui leur ont été favorables pendant deux décennies, puis de celles qui leur ont été défavorables (bien qu’elles aient prétendu le contraire) pendant les deux décennies suivantes, la grande constante est que les catégories dirigeantes de la grande majorité des pays en développement considèrent le monde rural comme « arriéré » au plan technique, culturel et éducatif, qu’il entrave la croissance économique et n’est au total qu’une réserve potentielle de main-d’oeuvre. Dans le pire des cas, lorsque le monde rural est ethniquement différent, il peut faire l’objet de racisme. Or les paysanneries constituent dans ces pays souvent encore la partie la plus importante de la population active. Il ne peut donc y avoir de développement sans qu’elles participent au processus d’accumulation économique. Elles doivent donc faire l’objet d’investissements, alors que les politiques publiques contribuent souvent à les considérer comme réserve de valeur dans laquelle le reste de la société puise pour sa propre croissance. Cette représentation négative du monde agricole constitue un handicap évident pour l’avenir. Elle semble malheureusement relativement universelle. Comment faire changer les choses ? La réponse réside dans les capacités des paysanneries, elles-mêmes, à faire face à leur propre avenir. Face à l’adversité et au risque de s’enfoncer dans la pauvreté et de ne pouvoir faire face aux défis alimentaires du futur, elles n’ont pas d’autre alternative que de réagir ou de s’enfoncer dans le drame, comme cela a finalement toujours été le cas dans l’histoire. Aujourd’hui pourtant, dans une société mondialisée, les paysanneries pauvres peuvent trouver des appuis internationaux dans leur eff ort pour se structurer, pour comprendre les causes de leursituation et pour agir. Il n’y a pas d’autre issue pour elles, et ceci constitue un préalable, que de s’organiser de façon à constituer un véritable pouvoir économique et politique, tout comme ce fut le cas en France dans les années 1960 avec la formation d’un syndicalisme agricole fort, d’un mouvement coopératif et mutualiste puissant créant progressivement les entreprises dont la production agricole avait besoin pour développer un secteur économique à la hauteur des besoins des sociétés. Comme le dit Louis Malassis, nous sommes aujourd’hui encore dans l’épopée inachevée des paysans du monde.