« Amer était le prix du savoir, non le savoir. » I Dans ma mémoire, de vieilles femmes lavent les morts sur des dalles blanches. S’agit-il de guerriers, jeunes encore, avant le bûcher ou la sépulture et la naissance du chant qui prolonge leur souvenir ? Était-ce non loin d’un cimetière musulman, aux pierres inégales marquant les tombes sur un tertre où tombait la neige ? Tout cela remonte comme d’un puits, il n’aurait jamais fallu se pencher. Mémoire d’un désastre absolu, dévidé à l’enfance avec ses charniers. Violence transmise qu’il a fallu rejeter pour vivre sans entrave. Longtemps ce passé, fragments de récits chuchotés par des vieilles, ce passé qui n’était pas le mien mais celui d’une tribu tranchée au vif, une moitié morte, l’autre dispersée. Longtemps j’ai écarté ce passé dont je n’ai pas voulu endosser la douleur, tant le monde était chargé d’aube et de poudre, avec la joie physique de l’aventure, les confins guerriers renversant l’ordre apparent des choses, le danger mené à la cape et l’orage des rencontres.