Présumé innocent – Lors d’un procès au pénal, la personne mise en accusation, quelle qu’elle soit, doit d’emblée être présumée non coupable avant de pouvoir être condamnée pour crime. Il revient ensuite au ministère public de faire la preuve de sa culpabilité. L’accusé n’a aucune obligation, quant à lui, de prouver qu’il est innocent ou coupable. Si le ministère public ne peut apporter les preuves dignes de foi susceptibles de déterminer la culpabilité pleine et entière de l’accusé, la Cour doit le déclarer non coupable. En résumé, suspicion ne vaut pas condamnation, et le doute profite à l’accusé. En sortant de la salle du restaurant après dîner, Sun Feihu avait la tête lourde et la marche incertaine. Sitôt allongé sur son lit moelleux, il s’endormit à poings fermés dans un tonnerre de ronflements. Quelque temps plus tard, il se réveilla, tenaillé par la soif. Il alluma la lumière, se leva et alla se verser deux grands verres d’eau qu’il but coup sur coup avant d’aller aux toilettes et de venir se recoucher. Il se sentait oppressé, il avait trop chaud et aussi un léger mal de tête : vraisemblablement le résultat du mélange de l’eau avec l’alcool qui stagnait au creux de son estomac. Avec humeur, il se remémora les propos que Mingsong lui avait adressés durant le dîner. Estimant que cette dernière avait fait exprès de lui faire honte, il trouvait que les autres avaient réagi de façon bizarre, y compris sa femme. Seule, Wu Fengzhu, compréhensive, était venue à sa rescousse. Pour tout dire, au début, il ne voulait pas participer à ce pèlerinage ; mais comme c’était sa femme qui avait insisté lors de leur dernière réunion des anciens pour lancer le projet et que tous les autres avaient adhéré à l’idée, il lui avait fallu s’incliner. En y songeant, il ne put s’empêcher de pousser un profond soupir. Soudain, il entendit comme des bruits de pas dans le couloir, devant sa porte. Il regarda sa montre : presque minuit. Qui pouvait bien être encore debout à cette heure ? Quelqu’un qui avait eu envie d’aller prendre l’air, peut-être ? Lui aussi trouva soudain que sa chambre sentait le renfermé ; il étouffait. Il lui fallait aller respirer l’air pur. Il s’extirpa de son lit, et d’un pas mal assuré, s’apprêta à sortir. Toutefois, arrivé à la porte, il hésita. À une heure aussi avancée de la nuit, ne risquait-il pas de rencontrer quelque individu mal intentionné ? Il colla son oreille contre la porte : tout n’était que silence. Tout doucement il tourna la poignée et pointait le nez au dehors, lorsqu’il vit une ombre noire s’enfuir subrepticement, juste devant lui. Au comble de l’effroi, il recula immédiatement et se claquemura à nouveau. Son coeur battait à tout rompre mais son cerveau fonctionnait parfaitement. Il continua à tendre l’oreille mais n’entendit personne ouvrir ou refermer sa porte. Il s’était peut-être trompé. Dans le doute, il ouvrit sa porte à nouveau, passa la tête et regarda jusqu’aux deux bouts du couloir : il était désert. Pas âme qui vive ; seule une applique, au loin, qui émettait une lueur blafarde. Il sortit de sa chambre et se dirigea du côté est à pas de loup. Au passage, il s’arrêta devant la chambre de Qian Mingsong, puis devant celle de Zhao Menglong, pour prêter l’oreille : à l’intérieur, pas un bruit. Au bout du couloir, devant la petite porte décorée de nuages noirs, il se souvint tout à coup de ce que la jeune employée de l’hôtel leur avait rapporté à propos de la légende de l’Immortel du Nuage noir et ne put s’empêcher d’en avoir la chair de poule. Il s’empressa de regagner sa chambre mais marqua toutefois un temps d’arrêt devant sa porte : rien ni personne dans les parages ; les battements désordonnés de son coeur se calmaient peu à peu. Il était pourtant persuadé d’avoir vu une ombre tout à l’heure. Qui cela pouvait-il bien être ? N’étant pas homme à laisser planer un doute qui allait l’empêcher de dormir, il se dirigea à pas feutrés vers l’escalier sur l’épaisse moquette du couloir. Au desk du rez-de-chaussée, à côté de l’escalier, il trouva l’employée de service, mademoiselle Chen. Toujours souriante malgré sa mine fatiguée, elle lui demanda : « Monsieur Sun, puis-je vous aider ? Vous avez besoin de quelque chose ? — Non, non, merci beaucoup, répondit Sun Feihu en secouant la tête. Je voulais juste vous demander si vous n’auriez pas vu quelqu’un monter à l’instant. — Non, je n’ai vu personne. — Et parmi les clients de l’étage, quelqu’un est-il sorti ? — Non plus. — Dans ce cas… Avez-vous entendu du bruit en haut ? — J’ai bien entendu quelqu’un marcher, mais c’était vous. Que se passe-t-il ? demanda mademoiselle Chen qui, à l’évidence, ne voyait pas où il voulait en venir. — C’est quand même bizarre, marmonna Sun Feihu. J’ai pourtant bien vu une ombre passer devant ma porte mais quand je suis sorti, il n’y avait plus personne dans le couloir et je ne crois pourtant pas avoir la vue qui baisse ! — Vraiment ? Cette ombre se dirigeait-elle vers l’intérieur ou vers l’extérieur ? — Vers l’intérieur, je crois. Mais ce fut extrêmement rapide, elle s’est aussitôt volatilisée. — Ah bon… alors c’était l’Immortel du Nuage noir, à n’en pas douter ! Monsieur Sun, il faut vous tenir sur vos gardes ! » lui conseilla-t-elle en souriant. Ce sourire lui parut bizarre ; il la dévisagea, bouche bée, puis remonta à l’étage, préoccupé et contrarié. Arrivé devant sa porte, il s’assura que le couloir était désert avant de l’ouvrir… et c’est alors qu’une feuille de papier tournoya et atterrit à ses pieds. Reprenant ses esprits, il se pencha pour la ramasser et vit, dessinée d’un trait net et précis, une monstrueuse chauve-souris noire. Il poussa un cri d’effroi et s’écroula, évanoui.