Le corps de la femme reposait dans une position naturelle, sur le côté, comme après l’amour. Il aurait voulu le mettre plus en valeur. Mais il n’avait pas le temps. Il devait se résoudre à l’abandonner. Il était loin de la perfection qu’il s’était fixé d’approcher. Il savait qu’il pouvait faire mieux. Mais il y avait ces bruits de pas… Agacé, le commissaire Chrétien Bompard referma son porte-cigarette. Il aurait dû le laisser chez lui. Il avait hésité, longuement. Il avait même rouvert la porte de son appartement pour aller le chercher alors qu’il avait décidé, quelques minutes auparavant, de le laisser sur sa table de nuit. Il aimait bien cet objet. Il s’y était habitué. Il fumait depuis vingt-huit ans et il avait cette espèce de boîte en faux croco, tantôt dans la poche de sa veste, tantôt sur son bureau, depuis bientôt vingt-cinq ans. Mais aujourd’hui, sa décision était prise, il arrêtait de fumer. Il était huit heures du matin, et alors qu’il ne fumait jamais avant onze heures sauf coup dur, il avait déjà ouvert son porte-cigarette une dizaine de fois. Cette attitude l’étonna. Il avait déclaré qu’il arrêterait de fumer dès que Mathilde lui ferait un enfant. Mais le ventre de Mathilde était resté stérile et ses poumons à lui s’étaient progressivement encrassés. Depuis, sa femme était devenue son ex-femme et il se demanda soudain s’il n’y avait pas là un lien de cause à effet. Leur relation, après une étape douloureuse, s’était stabilisée dans une douceur mâtinée de sensualité. Il aurait certainement l’occasion d’aborder le sujet avec Mathilde. Il tripota à nouveau son porte-cigarette. Il se sentait anxieux. Ça ne pouvait pas être dû au manque de nicotine puisque d’habitude, à cette heure-ci, il n’avait pas allumé sa première cigarette. Il se raccrochait à ce principe qu’il estimait quasiment scientifique. « À moins que ce soit purement psychologique. » La décision même d’arrêter de fumer suffirait à le mettre dans un état d’anxiété inhabituel. Il abandonna cette direction, qu’il trouvait peu satisfaisante. Il y avait bien une autre piste, une explication totalement irrationnelle : chaque grande affaire à laquelle il avait dû faire face durant sa carrière de flic avait été précédée d’un grand moment d’angoisse. Il n’avait pas fait le lien tout de suite, mais, au fil des ans, il avait dû se rendre à l’évidence : il était dans une sorte d’état prémonitoire, une intuition mal contrôlée d’un danger à venir. Il n’avait jamais osé parler à quiconque de cette espèce d’aptitude qu’il avait à pressentir les catastrophes. Son portable sonna. Dans l’immédiat, le cataclysme était plutôt un instant de bonheur, Mathilde l’appelait.