L’Europe étonnée avait vu, à la fin du xve siècle, le génie de Christophe Colomb lui montrer une moitié de l’univers, par elle jusqu’alors ignorée. La domination de l’Espagne s’était étendue sur la plupart de ces immenses contrées nouvellement découvertes. Leurs paisibles habitants avaient d’abord reçu avec joie ses navigateurs et ses guerriers qui avaient trouvé en eux des amis et des frères ; mais bientôt, la soif de l’or étouffant dans les cœurs de ces hommes avides et féroces le sentiment de la reconnaissance, ils avaient arrosé de sang innocent la terre de l’hospitalité. La population de Saint-Domingue avait disparu ; le Mexique et le Pérou, vastes empires habités par des peuples généreux et braves, s’étaient vus subjuguer par deux poignées d’aventuriers, pleins de valeur il est vrai, mais dont l’audace n’eût été que de la démence s’ils n’avaient joint à une tactique et une discipline parfaites l’usage de ces armes, à la fois ingénieuses et terribles, qui réduisent à peu de chose la supériorité du nombre chez un ennemi qui les ignore. Toutes les idées des peuples de l’Europe se tournaient vers ces régions nouvelles, dont les relations portaient, pour la plupart, un caractère merveilleux fait pour séduire les imaginations des hommes de ce siècle de romans et de chevalerie. Les esprits inquiets y voyaient un théâtre d’aventures extraordinaires où ils étaient tentés d’aller figurer ; les ambi- tieux y apercevaient des routes nouvelles pour parvenir aux honneurs et à la fortune ; les hommes intéressés, plus avides de richesses que de réputa- tion, croyaient ne pouvoir jamais assez vite gagner ces régions opulentes où, d’après les exagérations vulgaires, l’or était partout à discrétion pour ceux qui voulaient prendre la peine de le recueillir. Empressés de chercher les lieux qui pouvaient offrir ce précieux métal, objet de leurs désirs, les premiers Européens qui abordèrent dans le Nouveau Monde ne s’étaient arrêtés qu’à Saint-Domingue et dans les vastes royaumes qu’offrait le continent américain. Ils avaient dédaigné les îles situées à l’entrée du golfe du Mexique, qui devaient, dans les siècles suivants, devenir des possessions si importantes pour les nations commerçantes de l’Europe. Colomb, qui les avait découvertes à son second voyage en 1494, ne s’y était arrêté qu’un instant pour faire de l’eau. Il s’était hâté de passer outre, après s’être convaincu que cet archipel ne produisait pas d’or et qu’il ne pouvait par conséquent paraître que d’une importance médiocre à la puissance qu’il servait. Cependant, il en avait pris possession au nom du roi d’Espagne. Ainsi, tandis que les riches provinces du Mexique et du Pérou étaient en proie à la guerre et à la dévastation, les Caraïbes des Antilles, préservés par leur pauvreté, jouissaient encore d’un repos que le reste de l’Amérique ne connaissait plus depuis longtemps. Pleins d’innocence et de douceur, ces heureux Sauvages coulaient leurs jours en paix au sein de leurs petites îles, perdues dans l’immensité de l’océan. Satisfaits des biens de la nature, ignorant les vaines jouissances du luxe et de l’orgueil, ils se livraient à leur indolence habituelle à l’ombre de leurs belles forêts et sur les bords enchantés des ruisseaux arrosant les champs fertiles qui les nourrissaient sans effort ; existence paisible et douce dont le bonheur n’est pas même soupçonné par les cœurs que l’avarice ou l’ambition dépravent. Cependant, le zèle de la religion, qui, dans ces temps bizarres, s’alliait presque toujours à des mœurs qu’elle ne voyait qu’avec horreur, avait engagé les Espagnols à envoyer aux Antilles quelques missionnaires pour y porter la lumière de la foi. Plusieurs religieux de l’ordre des Frères prêcheurs avaient été débarqués à la Guadeloupe, la plus grande de ces îles. Animés de ce courage parfait dont la religion est la source unique, ces saints ecclésiastiques n’avaient pas hésité à se présenter seuls, sans secours, sans protection, sur ces grèves sauvages pour y chercher des âmes à gagner à Dieu. Leurs progrès furent d’abord peu considérables ; cependant, ils avaient trouvé un petit nombre de cœurs dans lesquels leurs leçons avaient fructifié. Sans doute, avec le temps, ils eussent étendu leurs conquêtes chez un peuple doux auquel ils n’avaient pas tardé à se rendre recommandables par leurs vertus ; mais ils périrent dans une attaque faite contre les Caraïbes par des peuplades de l’Orénoque qui massacrèrent les missionnaires, les regardant comme les amis de leurs ennemis.