La fille de la vidéo n’avait pas plus de seize ans. Pareille à une petite flamme pâle et vacillante, elle dansait au rythme de la musique, les bras levés, tandis que quatre garçons à la peau foncée s’agglutinaient autour d’elle. Plus ils tentaient de se rapprocher d’elle, plus leurs silhouettes étaient difficiles à distinguer à cause de l’éclairage tamisé. Ces garçons étaient peut-être plus âgés qu’elle, mais leurs T-shirts et leurs shorts de couleurs vives leur donnaient l’air assez jeune, et deux d’entre eux portaient une queue-de-cheval. Vêtue d’un dos-nu jaune et d’une minijupe bleue, la fille paraissait toute petite au milieu de ces jeunes hommes. Elle dansait les yeux fermés, hypnotisée par le rythme lancinant de la musique. Le plafond au-dessus d’eux était bas. Une unique ampoule, couverte d’un foulard rouge, y était suspendue et éclairait ces silhouettes ondulantes d’une lumière rouge sang. Des tentures recouvraient les murs mais dans un coin, on apercevait une fenêtre circulaire. Ces jeunes aux mouvements de robot semblaient unis par le morceau de trance à la mode que diffusaient les haut-parleurs. L’un des garçons s’adressa soudain à la fille avec une certaine véhémence. Son ton était brusque mais la musique rendait ses paroles inaudibles. Il était tout aussi difficile de distinguer l’expression de chaque visage. La scène avait sans doute été filmée par un téléphone portable et l’image était granuleuse. Mais la personne qui tenait l’appareil ne semblait pas tentée de régler le contraste, ni de zoomer. En tout cas, la fille connaissait bien le garçon car elle paraissait très détendue. Elle secoua la tête et le repoussa lorsqu’il essaya de lui dire quelque chose à l’oreille. Sans même ouvrir les yeux, elle continua à danser, l’air très sûre d’elle. Alors, le garçon passa un bras autour des épaules de la fille et prit son sein gauche dans la main. Les autres les regardèrent fixement et tout le groupe s’immobilisa. Des rires nerveux résonnèrent lorsque la fille le gifla, puis l’un des garçons se plaça momentanément devant l’objectif. Il essayait peut-être de mettre un terme à la dispute. Mais son voisin le bouscula, et comme s’il se souvenait soudain qu’il était filmé, celui qui faisait écran regarda par-dessus son épaule puis alla se placer à côté de la fille. Celle-ci rejeta ses longs cheveux bouclés dans son dos et tenta de résister au garçon qui continuait à la tripoter. Mais il réussit à tirer sur les liens de son dos-nu et ses seins apparurent aux yeux de tous. Les autres garçons se figèrent aussitôt. La fille se dépêcha de rattacher les deux liens sur sa nuque. Puis elle s’avança brusquement vers le garçon pour le frapper. Mais celui-ci esquiva son coup et lui attrapa le poignet. Il y eut alors une pause, comme si le groupe s’était trop éloigné de son texte et qu’il recevait des instructions afin de corriger la scène. « Oh, arrête ! » fit l’un des garçons. Cette fois, les mots et leur sens étaient très clairs. « Ta gueule, crétin ! » répondit la fille. Ensuite elle gloussa et ajouta : « Arrête tes conneries. » Curieusement, elle n’avait pas l’air fâché. Soudain, l’image disparut. Mais une seconde plus tard, le film reprit. Trois des garçons étaient installés sur un lit avec la fille. L’un d’eux était allongé sur le flanc et lui parlait. « Tu as promis. Tu peux pas… » Cette fois encore, le son n’était pas très clair, et les quelques paroles perceptibles étaient elles-mêmes saccadées et ambiguës. À l’évidence, la jeune fille était insensible au ton insistant et persuasif du garçon. Toujours vêtue de son dos-nu et de sa minijupe, elle était allongée sur le dos et gardait les yeux rivés au plafond. Elle avait les jambes croisées et ses pieds se balançaient au rythme de la musique. L’appareil utilisé pour filmer la scène bougeait plus qu’avant. On avait dû le poser sur une table de manière stratégique pour la première vidéo ; à présent, c’était quelqu’un – le quatrième garçon peut-être ? – qui le tenait. « Allez… » fit une voix agressive et aiguë. La fille regarda alors l’objectif, mais son regard était totalement flou. Elle tenta lentement de se relever puis retomba sur le lit comme si c’était au-dessus de ses forces. Était-elle ivre ? Pourquoi ne quittait-elle pas la pièce ? « T’as qu’à lui enlever sa jupe » dit une autre voix, encore plus fort. Ce garçon avait un accent indien très prononcé. Je crus reconnaître l’intonation typique de Goa. Celui qui tenait le portable se rapprocha du lit et prit position au-dessus de la fille. Il se mit à filmer ses jambes pâles, se rapprocha du tissu de sa jupe… et soudain apparut la chair blanche de ses cuisses nues, ainsi qu’un triangle de poils blonds. Ensuite, l’image s’interrompit de nouveau. La vidéo ne durait pas plus de trois minutes. En état de choc, je contemplai le petit écran noir de mon téléphone portable. Le film m’avait été envoyé par Amarjit, un vieux copain de fac qui travaillait dans la police. Il était actuellement en poste à Delhi (où il tentait de se remettre d’un divorce très médiatisé). La vidéo était accompagnée d’un message : Amarjit voulait me parler. Mais son ex-femme ayant menacé de me désigner comme responsable de leur divorce au moment du jugement, j’étais peu disposée à communiquer avec lui. En réalité, je n’avais plus aucun contact avec Amarjit depuis trois ans. Serait-ce une ignoble plaisanterie ? Une blague de gamin ? (Je t’envoie une vidéo obscène, histoire de t’intriguer et de rompre la glace, au lieu de te faire livrer un bouquet de fleurs !) Cherchait-il à m’appâter grâce à ce message mystérieux et très perturbant pour ensuite mieux me ferrer ? Eh bien, je n’allais certainement pas retomber dans le piège. En guise de réponse, je lui suggérai poliment d’aller se jeter dans la mer d’Arabie avec un poids de cinq cents kilos attaché aux pieds.