Lors de la révision du Code de la nationalité en 1986, l’article 44 cristallisa les passions. Il accordait jusqu’alors la nationalité française, au moment de sa majorité, à toute personne née sur le territoire national et y ayant résidé plus de cinq ans. Ceux qui voulaient la révision craignaient que le maintien de l’article 44 ouvre la porte à une naturalisation incontrôlée – des femmes étrangères venant accoucher en France pour que leurs enfants puissent ensuite en obtenir la nationalité. Ceux qui défendaient le statu quo insistaient sur la difficulté dans laquelle se trouveraient des jeunes nés en France, élevés en France et y ayant toujours vécu, s’ils ne pouvaient plus compter sur cette naturalisation automatique. Le droit du sol se dressait en face de celui du sang : chez les enfants d’étrangers, qui l’emportait, de la nationalité des parents ou de l’éducation française ? Devait-on se considérer comme Français parce qu’on descendait d’autres Français, ou parce qu’on avait reçu une culture française ? Inné contre acquis, héritage contre éducation, patrimoine contre revenu, propriété contre usage : l’opposition du sol et du sang réveillait les plus anciens conflits. Pour éviter une question insoluble, on prit une autre direction : c’était à l’intéressé, donc au jeune étranger né en France, de choisir entre les deux déterminations qu’il avait reçues. Après tout, il fallait tenir compte de la diversité des situations individuelles. Certains étaient nés et avaient été éduqués dans un milieu non français sans grand contact avec la France, si bien que leur origine l’emportait. Pour d’autres, la nationalité de leurs parents ne représentait qu’un souvenir ou une nostalgie. Élevés dans un milieu français, ils choisiraient sans hésitation de devenir ce qu’étaient leurs camarades français de naissance. Cette solution satisfaisait les partisans de la réforme en écartant l’une de leurs plus grandes craintes, celle de fabriquer des Français malgré eux. Elle convenait aussi aux adversaires du changement car, en insistant sur la volonté de l’individu, elle souscrivait au principe démocratique. En fait, des principes plus importants étaient modifiés par ce nouveau dispositif. Une hiérarchie entre le sang et le sol était instaurée : les enfants nés de parents français héritaient automatiquement de leur nationalité mais, implicitement, les enfants d’étrangers héritaient aussi d’une nationalité, celle de leurs parents. Ils pouvaient seulement opérer à l’âge de dix-huit ans, sous certaines conditions, une substitution. Le droit du sol devenait second par rapport à celui du sang. Il ne créait plus, mais rectifiait. Il ne fondait plus un droit véritable mais en constituait une modalité d’application. Telle n’était pas l’intention des législateurs précédents. Ils avaient, au contraire, voulu imposer le droit du sol pour forcer à la nationalité française ceux qui étaient nés en France et surtout avaient profité de son éducation, de ses ressources et de ses soins et qui devaient en retour en accepter les devoirs, particulièrement le passage par l’armée – l’impôt du sang. C’était une application logique de la théorie du capital humain : la France avait investi dans ces jeunes et voulait en retirer son bénéfice. Pourquoi a-t-on renoncé à cette manière de voir ? Nous avons pensé d’abord que l’explication se trouvait dans un changement objectif des conditions démographiques : les hommes étaient plus rares autrefois que maintenant en Europe et dans le reste du monde.