Il existe des « rues de la République » dans presque toutes les communes de France. Il n’y a pas de « routes de la République ». Pourtant, les routes sont pratiquées par tous. Leur nécessité est connue de tous et ressentie au quotidien, mais finalement rarement reconnue, voire négligée, voire combattue. Pourquoi ? La force des habitudes ? Une forme d’aveuglement? Cependant, lorsque sont déployées les implications réelles de l’écosystème de mobilité associé à l’automobilisme et à l’univers routier, c’est non seulement l’ensemble de l’activité économique nationale qui se trouve concerné, mais aussi l’existence d’un tissu dense de relations amicales, familiales, sociales, d’une vie sur des territoires où les moyens de transports en commun ne trouvent pas leur pertinence. Depuis une trentaine d’années, la mise à l’agenda politique des questions de mobilité – le mot même s’est imposé dans le langage courant – s’est présentée comme une lutte contre un « lobby de la route, du pneu et du pétrole » présumé tout-puissant, qui ne serait que générateur de dépendances. Elle a produit des avancées utiles et nécessaires en matière de sécurité routière et d’environnement. Elle est en revanche passée à côté de l’urgence politique de la question des mobilités, et a insuffisamment relevé le fait que cette urgence ne tient pas simplement à la fonctionnalité des transports. Remontons brièvement le cours d’une histoire qui n’a pas été forcément linéaire pour nous en convaincre. « L’auto, ça pue, ça pollue et ça rend con. » On est en 1974. René Dumont, premier candidat écologiste aux élections présidentielles, ne recueille qu’un pour cent des suffrages, mais sa campagne marque les esprits et cette phrase lapidaire est restée dans les mémoires. On venait de connaître le premier choc pétrolier – sans savoir encore, évidemment, qu’un second allait suivre ni que l’histoire ne serait pas si linéaire ensuite. Le club de Rome avait sorti en français le rapport de Dennis Meadows The Limits To Growth sous le titre Halte à la croissance (Paris, Fayard, 1973). L’époque en retient surtout qu’elle n’a que quarante ans de réserves pétrolières devant elle. Deux ans plus tard, Gérard Bauer et Jean-Michel Roux publient La Rurbanisation ou la ville éparpillée (Paris, Seuil, 1976) premier constat du développement de ce qui deviendra « l’étalement urbain » et la périurbanisation : une forme d’expansion qui se réalise en dehors des plans et des programmes officiels, fidèles à l’urbanisme vertical de ce que l’on présente alors comme la « vraie ville ». La doxa officielle traitera avec suffisance ou ignorance l’éparpillement anarchique des pavillons, et plus généralement la maison individuelle. L’automobile ne tardera pas à la rejoindre dans le même opprobre. Il y a de bonnes et de mauvaises façons de vivre sa vie quotidienne, nous dit une élite se vivant en surplomb des citoyens. Cette vision n’a fait que croître depuis.